Principe #4 : "Qui-fait-quoi ?" plutôt que "qui-est-qui ?"
« Jetez la boîte à médailles, sortez la boîte à outils ! »
– Proverbe maker
Faire ne vaut pas moins que penser et vaut même souvent bien plus. Dans le milieu des hackers et des makers, on appelle ça la « do-ocratie » (ou « pouvoir par le faire ») : une organisation où chaque membre de la communauté choisit un rôle et des tâches à effectuer, et où les responsabilités sont attribuées à ceux qui font, et non à des représentants élus ou désignés. Ou comme le dit Michel Lallement, sociologue du travail, « est légitime celui qui fait ».
La do-ocratie, c’est le règne de l’opposition aux injonctions stériles du type « ce serait bien de faire ça ». Seules comptent les voix de ceux qui proposent quelque chose de concret ou se proposent pour creuser telle ou telle piste. Sans le moindre regard pour le rang hiérarchique !
De façon générale, le corporate hacker se méfie des positions sociales. Les beaux pedigrees et les poitrails sertis de médailles le laissent indifférent. Chacun (y compris lui-même !) doit être jugé selon ses œuvres – et non selon les critères factices que sont le titre, l’âge, le sexe, la nationalité ou le niveau d’études. À l’échelle de l’organisation toute entière, ce règne du « qui-fait-quoi ? » se traduit par quatre règles d’or :
Faire primer les compétences sur les connaissances :
Peu importe le beau diplôme d’un collaborateur, ou d’un supérieur hiérarchique, seule la compétence doit entrer en ligne de compte. Ou plutôt, les compétences. Car le corporate hacker s’intéresse à tout ce que savent et peuvent faire ses collaborateurs. Centres d’intérêt, personnalité, expériences passées : tout peut servir, et pas uniquement ce qui apparaît sur un CV. Le manager-makestormer veille aussi à ce que ses collaborateurs développent en permanence des aptitudes nouvelles à travers chaque échange, chaque projet.
Miser sur la confiance :
On connaît le paradoxe des organisations basées sur le contrôle : d’un côté les dirigeants renforcent les systèmes d’évaluation et les indicateurs pour optimiser la productivité, de l’autre, ces mêmes systèmes assassinent la motivation au travail et donc la capacité d’innovation et l’efficacité au jour le jour.
Derrière ces systèmes se trouve ce postulat : sans incitation extérieure et sans flicage, le salarié ne fait pas son travail. Cette défiance des patrons a fini par s’appliquer aux cadres eux-mêmes. Il y aurait une psychanalyse des organisations à mener pour montrer à quel point elles finissent par être obsédées par les 3 % de tire-au-flanc, au risque d’empêcher les 97 % restants de prendre plaisir à bien faire leur travail, à s’entraider ou à progresser par l’expérience.
La désobéissance civile, cela peut commencer par s’affranchir des contrôles absurdes et des systèmes d’évaluation par indicateurs. Il est urgent de laisser de l’autonomie aux collaborateurs pour atteindre les résultats, alléger les contrôles et le reporting sur les moyens et les laisser s’organiser plus librement – individuellement et collectivement.
Faire primer les compétences sur le niveau hiérarchique :
Halte aux statuts ! Quand il s’agit de faire avancer un projet donné, seule compte la contribution concrète de chaque membre de l’équipe. À éviter, donc, les comités de pilotage composés uniquement en fonction de critères politiques sans se soucier de ce que chacun peut apporter au collectif ! On pourrait même imaginer des « comités exécutifs temporaires » en fonction des priorités de l’entreprise.
Développer les compétences en permanence :
C’est le corollaire indispensable des deux premières règles : dans le Makestorming, chaque collaborateur doit aiguiser sa curiosité en permanence, se cultiver personnellement et professionnellement et surtout, développer de vraies compétences en se confrontant à la réalité, en se proposant pour de nouveaux projets, en testant en permanence ses connaissances sur le terrain. C’est dans l’action qu’on acquiert des compétences. C’est aussi dans l’action qu’on acquiert de la légitimité.
Reconnaître les compétences des autres :
Développer ses compétences, c’est aussi reconnaître les compétences et les expertises d’autrui. Un groupe ne fonctionne bien que si chacun adoube au préalable les compétences des autres. Cette conscience partagée des expertises du groupe permettra de trancher une question donnée sans se référer à la hiérarchie ou à la loi de celui qui parle le plus fort. C’est une condition indispensable pour bien travailler en mode pluridisciplinaire – donc en mode Makestorming.
Do-ocratie : deux exemples très concrets
En France, le collectif « Oui Oui Oui » qui militait pour le mariage pour tous, a mis en place une gouvernance basée sur le principe de do-ocratie. Toute personne qui disait « il faudrait » n’était pas écoutée ; seules étaient valides les suggestions de ceux qui se proposaient de participer à telle ou telle action. Et si quelqu’un était contre, il était sommé non seulement d’argumenter, mais surtout de proposer une autre action dans laquelle il s’impliquerait.
Au sein de Museomix, nous avons remplacé le terme « projet » par « parcelle » et la notion de « responsable communication, responsable site Internet, responsable x, etc. » par celui de « jardinier(e) ». Pourquoi ce terme ? Parce que celui qui pense qu’il faut lancer un projet sur tel ou tel sujet ne va pas dire « il faudrait faire ça », il va ouvrir une « parcelle », devenir son jardinier et inviter ceux qui le souhaitent à venir jardiner avec lui. Pas de jardinier, pas de parcelle : c’est que la nécessité ou l’envie n’étaient pas là, pas la peine de perdre du temps sur cette voie.
Extrait tiré de Makestorming, le Guide de Corporate Hacking.
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